à Pupetières
Lamartine et Anna de Noailles

Lamartine: le temple l'isolement le vallon Anna de Noailles : les éblouissements
Château de Pupetières

C’est probablement en 1816 que Lamartine composa à Pupetières,
ce poème plein de nostalgie, qui reflète sa liaison amoureuse
avec Julie Charles, qu’il avait rencontrée à Aix-les-Bains.

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Le temple
Qu'il est doux, quand du soir l'étoile solitaire,
Précédant de la nuit le char silencieux,
S'élève lentement dans la voûte des cieux,
Et que l'ombre et le jour se disputent la terre,
Qu'il est doux de porter ses pas religieux
Dans le fond du vallon, vers ce temple rustique
Dont la mousse a couvert le modeste portique,
Mais où le ciel encor parle à des cœurs pieux !

Salut, bois consacré ! Salut, champ funéraire,
Des tombeaux du village humble dépositaire ;
Je bénis en passant tes simples monuments.
Malheur à qui des morts profane la poussière !
J'ai fléchi le genou devant leur humble pierre,
Et la nef a reçu mes pas retentissants.
Quelle nuit ! quel silence ! au fond du sanctuaire
A peine on aperçoit la tremblante lumière
De la lampe qui brûle auprès des saints autels.
Seule elle luit encor, quand l'univers sommeille :
Emblème consolant de la bonté qui veille
Pour recueillir ici les soupirs des mortels.
Avançons. Aucun bruit n'a frappé mon oreille ;
Le parvis frémit seul sous mes pas mesurés ;
Du sanctuaire enfin j'ai franchi les degrés.
Murs sacrés, saints autels ! je suis seul, et mon âme
Peut verser devant vous ses douleurs et sa flamme,
Et confier au ciel des accents ignorés,
Que lui seul connaîtra, que vous seuls entendrez.
Mais quoi ! de ces autels j'ose approcher sans crainte !
J'ose apporter, grand Dieu, dans cette auguste enceinte
Un cœur encor brûlant de douleur et d'amour !
Et je ne tremble pas que ta majesté sainte
Ne venge le respect qu'on doit à son séjour !
Non : je ne rougis plus du feu qui me consume :
L'amour est innocent quand la vertu l'allume.
Aussi pur que l'objet à qui je l'ai juré,
Le mien brûle mon cœur, mais c'est d'un feu sacré ;
La constance l'honore et le malheur l'épure.
Je l'ai dit à la terre, à toute la nature ;
Devant tes saints autels je l'ai dit sans effroi :
J'oserais, Dieu puissant, la nommer devant toi.
Oui, malgré la terreur que ton temple m'inspire,
Ma bouche a murmuré tout bas le nom d'Elvire ;
Et ce nom répété de tombeaux en tombeaux,
Comme l'accent plaintif d'une ombre qui soupire,
De l'enceinte funèbre a troublé le repos.

Adieu, froids monuments ! adieu, saintes demeures !
Deux fois l'écho nocturne a répété les heures,
Depuis que devant vous mes larmes ont coulé :
Le ciel a vu ces pleurs, et je sors consolé.

Peut-être au même instant, sur un autre rivage,
Elvire veille ainsi, seule avec mon image,
Et dans un temple obscur, les yeux baignés de pleurs
Vient aux autels déserts confier ses douleurs.


Dans une lettre à son ami, Aymon de Virieu, datée de 1818, Lamartine écrivait
à propos de ses états d'âme : «Irrésistible dans les moments de bonheur,
ma foi en la Providence disparaît presque totalement quand le malheur m'accable et le désespoir l'éteint tout à fait
».
En 1821, à l'époque où il médite “L’isolement”,
le poète se trouve dans un de ces moments où le malheur l'accable :
Elvire est morte, il se sent incapable de continuer à vivre.


“L’isolement “
Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.

Ici, gronde le fleuve aux vagues écumantes,
Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ;
Là, le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l'étoile du soir se lève dans l'azur.

Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon.

Cependant, s'élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs,
Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.

Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N'éprouve devant eux ni charme ni transports,
Je contemple la terre, ainsi qu'une ombre errante :
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.

De coIline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l’aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis : Nulle part le bonheur ne m'attend.

Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !

Que le tour du soleil ou commence ou s'achève,
D'un œil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève,
Qu'importe le soleil? je n'attends rien des jours.

Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts :
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire ;
Je ne demande rien à l'immense univers.

Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,
Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux !

Là, je m'enivrerais à la source où j'aspire ;
Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour,
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour !

Que ne puis-je, porté sur le char de l'Aurore,
Vague objet de mes vœux, m'élancer jusqu'à toi !
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.

Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons ;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !


«Ce vallon est situé dans les montagnes du Dauphiné,
aux environs du Grand-Lemps ;
il se creuse entre deux collines boisées
et son embouchure est fermée par les ruines
d'un vieux manoir qui appartenait à mon ami Aymon de Virieu.
Nous allions quelquefois y passer des heures de solitude


“Le vallon”
Mon cœur, lassé de tout, même de I 'espérance,
N'ira plus de ses vœux importuner le sort ;
Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance,
Un asile d'un jour pour attendre la mort.

Voici l'étroit sentier de I 'obscure vallée :
Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais,
Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée,
Me couvrent tout entier de silence et de paix.

Tracent en serpentant les contours du vallon :
Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure,
Et non loin de leur source ils se perdent sans nom.

La source de mes jours comme eux s'est écoulée :
Elle a passé sans bruit, sans nom et sans retour ;
Mais leur onde est limpide, et mon âme troublée
N'aura pas réfléchi les clartés d'un beau jour.

La fraîcheur de leurs lits, I 'ombre qui les couronne,
M'enchaînent tout le jour sur les bords des ruisseaux.
Comme un enfant bercé par un chant monotone,
Mon âme s'assoupit au murmure des eaux.

Ah ! c'est là qu'entouré d'un rempart de verdure,
D'un horizon borné qui suffit à mes yeux,
J'aime à fixer mes pas, et, seul dans la nature,
À n'entendre que I 'onde, à ne voir que les cieux.

J'ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie ;
Je viens chercher vivant le calme du Léthé.
Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où I'on oublie :
L'oubli seul désormais est ma félicité.

Mon cœur est en repos, mon âme est en silence ;
Le bruit lointain du monde expire en arrivant,
Comme un son éloigné qu'affaiblit la distance,
À I' oreille incertaine apporté par le vent.

D'ici je vois la vie, à travers un nuage,
S'évanouir pour moi dans I'ombre du passé ;
L'amour seul est resté, comme une grande image
Survit seule au réveil dans un songe effacé.

Repose-toi, mon âme, en ce dernier asile,
Ainsi qu'un voyageur qui, le cœur plein d'espoir,
S'assied, avant d'entrer, aux portes de la ville,
Et respire un moment I'air embaumé du soir.

Comme lui, de nos pieds secouons la poussière ;
L’homme par ce chemin ne repasse jamais ;
Comme lui, respirons au bout de la carrière
Ce calme avant-coureur de l'éternelle paix.

Tes jours, sombres et courts comme les jours d'automne,
Déclinent comme I'ombre au penchant des coteaux ;
L'amitié te trahit, la pitié t'abandonne,
Et seule, tu descends le sentier des tombeaux.

Mais la nature est là qui t'invite et qui t'aime ;
Plonge-toi dans son sein qu'elle t'ouvre toujours :
Quand tout change pour toi, la nature est la même,
Et le même soleil se lève sur tes jours.

De lumière et d'ombrage elle t'entoure encore :
Détache ton amour des faux biens que tu perds ;
Adore ici l'écho qu'adorait Pythagore,
Prête avec lui I'oreille aux célestes concerts.

Suis le jour dans le ciel, suis I'ombre sur la terre :
Dans les plaines de I'air vole avec I'aquilon ;
Avec le doux rayon de I'astre du mystère,
Glisse à travers les bois dans I'ombre du vallon.

Dieu, pour le concevoir, a fait I'intelligence :
Sous la nature enfin découvre son auteur !
Une voix à I'esprit parle dans son silence :
Qui n'a pas entendu cette voix dans son cœur?


Anna de Noailles viendra rendre visite à Pupetières à sa belle-sœur
Elisabeth de Noailles qui avait épousé le marquis Wilfrid de Virieu.
Dans le Vallon de Pupetières elle marchera dans les pas de Lamartine,
100 ans après.
Elle y trouvera l’inspiration de ce beau moment de poésie.

Les Eblouissements.
Le Vallon de Lamartine
C’est de la joie et de la joie.
L’arbre s’étend, le ciel se noie
Dans son calice bienheureux.
Ce bonheur vert ! Ce bonheur bleu !
Soupirs de la terre enivrée.
Toute la plaine est affairée ;
Des essaims de guêpes en feu
Viennent et vont, vives, légères,
C’est une ivresse ménagère ;
Que de combats pressés, stridens,
Il semble que de fines dents
Mordent tout le luisant herbage ;
Quelle ardeur, quel feu, quelle rage !
C’est un chant si vibrant, si long,
C’est comme un brûlant violon
Où le soleil appuie et ploie
Son bel archet de jaune soie.
L’Univers se double dans l’eau,
Que tout est clair ! Que tout est beau !
Douce touffe d’herbe amoureuse
Qu’un papillon écarte et creuse,

Sureaux aux parfums framboises
Par le vent du matin baisés,
Fleur frêle qu’un insecte incline,
Chaude cigale cymbaline
Qui dans la molle ardeur du pré
Fait retentir un chant cuivré ;
Les parasols de l’angélique
Protègent du soleil oblique
La scabieuse qui brûlait
Sa houppe de miel violet.
C’est une odeur partout éclose
De sucre, de poivre, de rose,
De pampre, de lin, de gruau…
Le Vallon, entre ses coteaux
Que parfument de molles menthes,
Comme un vase aux parois charmantes
Contient la liquide douceur
De cent petites sources sœurs.
On entend bruire la course
De ces joyeuses, folles sources !
Où allez-vous vous dirigeant,
Petites sirènes d’argent,
En quittant les sommets limpides
D’où vos blanches eaux se dévident ?
De quels bonds souples, déliés,
Vous descendez l’escalier
D’herbe, de pierre, à tire-d’ailes !
O pauvres sources infidèles,
Vous ne reverrez jamais plus
Les verts coteaux qui vous ont plu,
L’aurore si rose et si proche
Au sommet de la haute roche ;
Torrent si pressé, si hâtif
Qui semblez être le pouls vif
Du temps qui fuit, irrémédiable,
Comme votre fureur m’accable,
Comme vous criez à mon corps :
Le jour se meurt, le jour est mort !…
Comme vous dites : Courons vite
Où lu beau plaisir nous invite.

Craignons de perdre sous le ciel
Un peu de temps essentiel.
Avant, hélas ! que l’on s’enfonce
Sous la terre âpre ou sous la ronce
Où l’onde, où l’homme sont jetés,
Epuisons les divins étés !
Le suc du cœur ou de l’écorce
Ne fuit pas avec moins de force
Vers le ravin universel
Que ce torrent continuel !… »
Hélas ! je le sais, et j’écoute
Ce galop du temps sur la route…
Mais quel appel à l’horizon ?
C’est une divine chanson ;
Des cloches tendres, opalines,
Semblent s’envoler des collines ;
Beaux oiseaux immatériels
Dont le vol chante sous le ciel,
Leur force molle se dilue
Dans l’air où le soleil afflue.
Il semble que le firmament
Soit tout un clair balancement
D’argent, d’azur, de mélodies…
Cloches aux bouches arrondies,
Colombes au brin d’olivier,
Ah ! c’est en vain que vous rêviez
De m’apporter la paix céleste
Sur votre aile dansante et preste,
Et dans la langueur d’un beau soir
D’annoncer un divin espoir.
Petites cloches insensées,
O campanules renversées,
Fleurs au pistil mélodieux,
Il n’est plus de cieux et de dieux.
Vous n’êtes qu’une blanche cendre
Qui sur la terre va descendre,
Vous n’êtes dans mon cœur d’été
Qu’un peu plus d’âpre volupté,
Qu’une plus profane antienne
Dans mon âme dionysienne,

Qu’un choc de cymbales d’argent,
Sur mon désir brusque et changeant,
Et buvant vos ondes sonores
Je m’enivre d’amour encore…

Mais un fantôme est là qui trouble mon esprit,
Je le vois qui s’assoit, qui rêve, qui sourit…
Dans ce vallon tintant de fraîcheur argentine
J’ai mis mes faibles pas dans vos pas, Lamartine,
Et je vais, le cœur grave et le regard penché,
Sur les chemins étroits où vos pieds ont marché.
Ah ! si lourdes que soient vos plaintes immortelles
Vous avez moins souffert, car vous aviez des ailes.
Vous n’avez pas connu, sur ce montant chemin,
La gloire et la douleur de n’être rien qu’humain,
De n’avoir pour secours et pour lueur divine
Que l’immense soleil qui monte et qui s’incline ;
Si tendre que soit l’or de son visage ardent
Vous ne pouvez savoir comme est soudain strident
Ce besoin que l’on a de ne pas disparaître,
D’être, d’être toujours et sans fin, d’être, d’être !
Vous, dans le matin pur et dans les soirs sereins,
Où, comme de joyeux et graves pèlerins
Alignés saintement sur la jeune verdure,
Le hêtre murmurant, l’orme vêtu de bure,
Les beaux sapins chargés de coquilles de bois
Montent, emplis d’amour, de charité, de foi
Vers le clocher qui brille au haut de la colline,
Vous étiez un archange orné de paix divine.
Mais moi, dès mon enfance abîmant ma raison
Aux luisantes parois du muet horizon,
J’ai su que tout désir, tout amour, toute flamme,
S’élançait de mon âme et rentrait dans mon âme,
Que mes dieux sont en moi, qu’ils mourront avec moi,
Qu’un jour mon chaud regard et mon divin émoi
Ne seront que poussière éparse, que poussière !
Hélas ! douleur d’aller s’effaçant tout entière !
Désir de n’être pas de la cendre au tombeau,
De voir encor le jour et le matin si beau,
D’errer dans l’étendue heureuse et sensuelle,

De boire à son calice et de s’enivrer d’elle !…
Ah ! comme tout bonheur soudain semble terni
Pour un cœur sans espoir qui conçoit l’infini…

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